COULE LA SEINE …
De loin, avec leurs barbes poivre et sel,
On pouvait les prendre pour des dieux grecs
Qui hantent les vieilles bibliothèques.
Mais, de près, à l’odeur pestilentielle,
On se rendait compte un peu tard
Qu’ils n’avaient jamais vu un dollar.
C’étaient, on pensait, de braves clochards
A la silhouette photogénique
Qui prenaient le soleil ou la pluie
A travers les déchirures de leurs pauvres habits,
Au bord de la Seine, sur le quai Notre-Dame.
Il y a longtemps qu’ils lui ont rendu leurs âmes.
Coule la Seine sous les roses de Notre-Dame.
Ils ont laissé la place à des êtres faméliques
Bien plus jeunes dont le regard
Vieilli sort d’un puits noir peuplé de cafards.
Hélas, il y a toujours de nombreux mendiants
Qui ont l’allure encore humaine,
Qui dorment sur des cartons
Et vivent sous les ponts.
On peut, sans beaucoup de
peine,
Casser pour eux une tirelire
Et surtout leur donner un sourire.
Coule la Seine sous les roses de Notre-Dame.
Mais les êtres dont je parle se cachent sous la
terre,
Se recroquevillent et fuient la lumière,
Se glissent dans des trous
Et n’ont pas peur des égouts.
Ils n’ont jamais entendu parler des allocs
Et plus rien ne les choquent.
Ils ne vendent pas de drogues hallucinogènes,
Ils sont les victimes de la monstrueuse pieuvre
urbaine
Aux yeux de béton froids comme des chaînes,
Aux mille tentacules porteurs de gangrène.
Coule la Seine sous les roses de Notre-Dame
Assise bien au chaud dans un brillant café
A la fin d’une après-midi, j’ai regardé la rue
Derrière une vitre qui me protégeait
Et, soudain, j’en ai vu un qui se glissait pieds-nus
Dans la foule indifférente
Dont je faisais partie la minute précédente.
J’en ai vu un aussi sur les Champs-Elysées
Qui vomissait tous les déchets
Que notre société sans pitié
Lui avait fait avaler.
Et j’ai ressenti trois fois la honte.
Honte pour lui qui subissait sa honte,
Honte pour la cruauté de notre société
Et surtout honte pour ma peur et ma pesante lâcheté.
Coule la Seine sous les roses de Notre-Dame
Ils sont nombreux tous ces enfants
Qui n’ont plus que la vie,
Qui n’ont plus que rêves de liberté chérie
Et qui laissent ruisseler leur bave
Sur notre société à la recherche d’esclaves.
Faut-il rêver d’un Zorro ou d’un Robin des Bois
Pour redonner la foi à ces êtres en guenilles et profond
désarroi ?
Ou faut-il qu’ils traversent le ciel
Pour trouver enfin que la vie est belle ?
Coule la Seine sous les roses de Notre-Dame
Qui les attend,
Blanche DREVET
dessin en souvenir d’un homme jeune sans domicile marchant
le long des routes,avec qui j’ai bavardé un moment.
Je lui souhaite de tout coeur,ainsi qu’à tous ceux qui en
cette saison savent qu’ils vont souffrir du froid, de ne pas se
laisser étouffer par les villes monstrueuses.
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