A tous les petits enfants et les grands enfants qui aiment les arbres vivants
et aussi aux grandes personnes qui ne voient sur les arbres que des billets de banques,
j’offre la belle…
Histoire d’un grand chêne penché
Un jour, dans la forêt où j’aime tant marcher parmi les arbres silencieux, je remarquai un grand chêne penché. Je le regardai longtemps en me demandant comment pouvait-il vivre ainsi parmi les autres chênes qui se dressaient verticalement en direction de la lumière solaire. Soudain, je sentis sur mon épaule droite la présence invisible d’un être bienveillant. Je ne saurai jamais à quoi ressemblait ce petit lutin, mais je n’ai pas oublié la belle histoire d’amitié qu’il me raconta à l’oreille.
Son récit commença ainsi : « il y a plus de quatre-vingts ans, deux jeunes chênes grandissaient pas trop éloignés l’un de l’autre. » Puis il s’arrêta un petit moment et continua : « Ils étaient tous les deux aussi beaux et plein d’énergie, mais ils n’avaient pas le même caractère. Il y en avait un fier et silencieux qui rêvait de dépasser en hauteur tous les arbres de la forêt, tandis que l’autre, d’un tempérament plus doux, aimait la compagnie des autres arbres qui l’entouraient. Quand le vent soufflait joyeusement, il aimait converser avec les charmes souples aux petites feuilles dentelées, avec les hêtres aux troncs lisses et aux jolies feuilles d’un vert translucide au début du printemps, avec les châtaigniers dont les grandes mains deviennent des flammes en automne et aussi avec les gracieux bouleaux qui sont les derniers à garder leurs petites feuilles d’or quand arrive l’hiver.
Plusieurs années passèrent, le chêne fier se dressait orgueilleusement de plus en plus haut, alors que son gentil voisin d’humeur joyeuse était obligé de se pencher de plus en plus sur le feuillage de ses amis avec qui il se sentait bien. Il ne faisait pas attention à son voisin qui se moquait de lui méchamment :
« Regardez ce pauvre chêne bavard, il est déjà vieux et va bientôt tomber ! »
Un jour, des bûcherons passèrent près d’eux. Ils regardèrent d’un air méprisant le chêne penché puis allèrent couper tous les petits arbres qui entouraient son voisin qui poussait bien droit et qui devint de plus en plus fier de pouvoir grandir tout seul dans un espace lumineux qui lui était réservé. Il était sûr de pouvoir dépasser tous les arbres de sa forêt.
Pourtant, au bout de plusieurs années, ce grand chêne commença à se sentir très seul car il ne pouvait plus entendre le murmure du vent et le chant des oiseaux dans les autres arbres éloignés de lui.
Le chêne penché grandissait aussi mais toujours penché, et il arriva qu’un jour son feuillage se rapprocha de celui de son voisin. Il était très ennuyé car il se souvenait des moqueries de ce chêne orgueilleux, mais il n’était pas rancunier. Il se disait que s’il ne pouvait plus bavarder avec ses amis restés plus bas que lui, il pourrait peut-être converser avec ce chêne dont il admirait la force et la droiture. Il suffisait d’avoir le courage de le lui demander, ce qu’il fit très humblement :
« Cher voisin, mon handicap et ma vieillesse m’ont rapproché de vous et je suis vraiment désolé de vous déranger. Toutefois, je pense que nous pourrions peut-être échanger quelques points de vue sur le temps et la beauté de la nature. »
Il fut fort surpris de la réponse de ce chêne si fier dont il ne soupçonnait pas la triste solitude :
« Quelle excellente idée, cher voisin, je n’osais pas vous le demander ! »
Depuis ce jour merveilleux, les deux vieux chênes devenus amis vécurent de belles journées à écouter le vent, à regarder dans le ciel voler les oiseaux et voyager les nuages.
Les années passèrent, mais un jour les bûcherons revinrent et regardèrent les deux chênes qui ne les entendirent pas :
« Tu as vu ce chêne penché, on ne peut même pas en tirer une planche, tandis que l’autre va nous rapporter beaucoup d’argent ! »
Le jour le plus triste de la vie du chêne penché arriva. Il entendit à leurs pieds un bruit effroyable et son ami s’écroula dans un immense fracas. Depuis, il vit seul et raconte ses souvenirs aux oiseaux qui viennent se percher sur ses branches.
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