» La première fois que j’ai vu le ciel, c’était à mon arrivée à Campos. Il faisait froid, le vent avait nettoyé le ciel, c’était la lune noire. A Campos, on ne prévoit rien, quand le ciel est clair, on sait que ce sera pour ce soir, on le dit de l’un à l’autre : c’est cette nuit pour regarder les étoiles…Le silence se fait, tous les feux sont éteints, toutes les lampes. Il n’y a pas une lumière, sauf du côté de la ville, une grande tâche rose qui est en suspens. Il fait froid parce qu’il n’y a rien entre la terre et le ciel. J’entends le moindre bruit, les cigales qui crissent dans les cotonniers, l’eau du ruisseau, le vent, le souffle des respirations …Je n’ai jamais vraiment regardé le ciel avant ce soir. Je suis allongé sur la terre, les yeux grands ouverts, je bois la nuit…
Jadi nous explique le ciel…Il dit que le ciel est pour nous aussi important que la terre, mais il ne doit pas être plus important…Une autre fois, Jadi s’est moqué de moi : « Tu es un enfant, Raphaël, tu regardes le ciel, tu cherches les étoiles et tu ne vois pas la nuit ; même si tu pouvais distinguer des milliers, des millions d’étoiles avec un télescope, ce qui est le plus grand, le plus vrai dans le ciel, c’est le noir, le vide. » . Il m’a dit aussi : « Tu tires de la vanité à connaître le ciel et tu ne te connais pas toi-même…Ce n’est pas le savoir que tu dois chercher, mais tout au contraire l’oubli. »
Le jour qui précède la fête aux environs de Noël, chacun doit se préparer, non pas en faisant un travail particulier mais, au contraire, en ralentissant sa vie…Hoatu donne l’exemple des chats : « observe un chat qui s’apprête à bondir, dit-elle, avant d’être le plus rapide, il est le plus lent du monde. » Les enfants se mettent alors à marcher à la manière des chats…On mange peu et certains adultes jeûnent pendant plusieurs jours mais n’en parlent pas. Le conseiller dit qu’il ne faut jamais que l’un d’entre nous se sente meilleur que les autres parce qu’il ne pourrait pas être prêt pour la vérité…Ce qui importe, c’est la connaissance du vide et pour cela il faut entrer dans la lenteur de l’espace. Il ne l’explique pas vraiment car s’il le disait avec les mots de la science, il serait semblable à ces gens qui écrivent des livres sur le silence. »
« OURANIA »
J.M.G LE CLEZIO,
Ecrivain né en 1940 à Nice
« Selon la pensée chinoise et surtout celle des taoïstes, ce qui garantit d’abord la communion entre l’Homme et l’univers, c’est que l’homme est un être non seulement de chair et de sang mais aussi de souffles et d’esprits ; en outre, il possède le Vide…Par le Vide , le cœur de l’Homme peut devenir la règle ou le miroir de soi-même et du monde, car possédant le Vide et s’identifiant au Vide Originel, l’Homme se trouve à la source des images et des formes. Il saisit le rythme de l’Espace et du Temps ; il maîtrise la loi de la transformation. »
« Vide et plein »
François CHENG, écrivain, membre de l’Académie Française,
Né en Chine en 1929 , naturalisé français en 1971
Laisser un commentaire